Page:Sand - Lelia 1867.djvu/69

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dans les boudoirs du pavillon d’Aphrodise, se répandirent par couples sur la terrasse et sur les balcons. Mais en vain les jaloux et les médisants, embarqués sur les gondoles, promenèrent sur eux d’avides regards. Ils avaient revêtu de nouveaux costumes dans l’intérieur du pavillon, et à l’abri de leurs masques ils saluaient gaiement la flotte.

Lélia voulut entraîner Sténio parmi eux ; mais elle ne put le décider à sortir de la langueur délicieuse où il était plongé.

« Que m’importent leurs joies et leurs chants ? disait-il. Puis-je ressentir quelque admiration ou quelque plaisir quand je viens de connaître les délices du ciel ? Laissez-moi savourer au moins ce souvenir… »

Mais Sténio se leva tout à coup et fronça le sourcil.

Qu’est-ce donc que cette voix qui chante sur les flots ? dit-il avec un frisson involontaire.

« C’est une voix de femme, répondit Lélia, une belle et grande voix, en vérité. Voyez comme dans les gondoles et sur le rivage on se presse pour l’écouter !

— Mais, dit Sténio, dont le visage s’altérait par degrés à mesure que les sons pleins et graves de cette voix montaient vers lui, si vous n’étiez ici, près de moi, votre main dans la mienne, je croirais que cette voix est la vôtre, Lélia.

— Il y a des voix qui se ressemblent, répondit-elle. Cette, nuit, n’avez-vous pas été complètement abusé par celle de ma sœur Pulchérie ?… »

Sténio n’écoutait que la voix qui venait de la mer, et semblait agité d’une crainte superstitieuse.

« Lélia ! s’écria-t-il, cette voix me fait mal ; elle m’épouvante : elle me rendra fou si elle continue. »

Les instruments de cuivre jouèrent une phrase de chant ; la voix humaine se tut : puis elle reprit quand les instruments eurent fini ; et cette fois elle était si rapprochée, si distincte, que Sténio troublé s’élança et ouvrit tout à fait le châssis doré de la fenêtre.

« À coup sûr tout ceci est un songe, Lélia. Mais cette femme qui chante là-bas… Oui, cette femme, debout et seule à la proue de la barque, c’est vous, Lélia, ou c’est votre spectre.

— Vous êtes fou ! dit Lélia en levant les épaules. Comment cela se pourrait-il ?

— Oui, je suis fou, mais je vous vois double. Je vous