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lui, et il meurt en jetant un dernier cri d’amour et de détresse sur ce monde qui regarde avec indifférence sa sublime agonie. J’ai vu périr des héros : les peuples aussi les ont vus, et ils se sont assis comme à un spectacle, au lieu de se lever pour les venger !

La génération qui a fait un homme puissant, au lieu de faire des nations fortes, ne pourra se relever de son abjection. Le faible espoir qui reste est tout entier dans la jeunesse qui s’élève. Des idées de gloire lui ont donné la bravoure ; des idées philosophiques lui ont donné l’esprit d’indépendance. Mais, vous le dirai-je ? cette jeunesse m’épouvante ; déréglée, bouffie d’orgueil, dépourvue de vénération, elle ne cherche, dans l’œuvre qu’elle veut accomplir, que des émotions guerrières et des triomphes bruyants. Elle méconnaît tout ordre et toute justice dès qu’elle raisonne sur les choses du lendemain. Elle s’approprie l’avenir et y porte déjà toutes les erreurs et toutes les iniquités du passé. Que va-t-elle faire si elle triomphe ? et que va devenir l’humanité si elle succombe ? Ô triste temps que celui où la victoire effraie autant que la défaite !

En attendant qu’un nouvel effort augmente ou diminue nos forces, je vais vous voir. Puissé-je vous trouver moins résignée que moi ! Il n’y a rien de plus triste que cette soumission à une implacable destinée. Hélas ! que deviendrait-on alors, si on n’avait la conscience d’avoir fait son devoir !




L.

MALÉDICTION.


Un jour Sténio redescendit seul les défilés rapides du Monteverdor. Sa santé s’était améliorée ; des émotions terribles, de grands chagrins, une blessure assez grave, c’étaient là pourtant les événements qui l’avaient retenu éloigné de sa résidence accoutumée. Mais il est des douleurs nobles, des souffrances glorieuses qui fortifient au lieu d’abattre, et Sténio en avait ressenti l’austère et maternelle influence.

Toutefois Sténio n’était pas guéri, son âme avait succombé plus que son corps dans le défi insensé qu’il avait voulu porter à la vie. La jeunesse physique refleurit aisément ; mais la jeunesse intellectuelle, plus déli-