Page:Sand - Les Beaux Messieurs de Bois-Dore vol2.djvu/151

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— As-tu perdu la parole, toi qui bavardais si bien tantôt ? reprit le Macabre ; ou ignores-tu, triple sot, que l’hôtelier doit, le premier, goûter largement aux plats et aux boissons qu’il présente ? Penses-tu que je suis si sûr de toi que je veuille m’exposer au poison ?… Allons, vite, détestable bête, avale-moi ce que tu vois sur cette assiette et dans ce gobelet, ou, mordieu ! je te fais avaler ma rapière.

En même temps, il montrait au marquis une assiette sur laquelle on avait placé un échantillon de tous les mets servis sur la table, et un gobelet rempli de vin pris dans tous les pots.

Le marquis fut grandement soulagé de voir de quoi il s’agissait, d’autant plus que la Proserpine ne le regardait pas au moment où il fut obligé de se pencher sur la table pour prendre l’assiette et le verre.

La coutume de faire goûter les mets par l’aubergiste était tombée en désuétude depuis la fin des grandes guerres civiles, du moins dans les provinces du centre ; les voyageurs n’exerçaient plus ce droit, non plus que les aubergistes ne revendiquaient celui de les désarmer à leur entrée dans la maison.

Mais Macabre agissait comme en pays conquis, et il n’y avait pas à discuter avec le droit du plus fort. Le marquis s’exécuta bravement, avec un sourire de dédain pour l’outrage infligé à sa loyauté. Il avala en silence le contenu de l’assiette et du verre, tout en lançant à Jacques Bréchaud un regard qui lui disait éloquemment :

« Jacques, tu vois que la générosité porte bonheur ! »

Et Jacques, qui adorait le marquis, se signa en retournant à la cuisine.