Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/16

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vent dit qu’il n’y a pas de frein possible aux passions de la première jeunesse, que les mères les rendent plus âpres encore en voulant les calmer, et que le seul remède, c’est de les mêler au mouvement de l’existence, afin d’empêcher les mauvais attachements de s’enraciner.

Qu’il eût tort ou raison, comme personne n’avait jamais eu l’idée de lui résister, le départ de Roger eut lieu sans délai. M. Ferras accepta son mandat avec la tranquille douceur qui lui était habituelle et sans marquer aucune inquiétude. Madame de Flamarande lui épargna les recommandations, sachant qu’il ferait de son mieux avec ponctualité, et elle cacha à Roger le déchirement de ses entrailles. Roger lui cacha le plaisir qu’il éprouvait à changer de place et à voir du pays. Il adorait sa mère et pleura en la quittant. Elle eut le courage de ne pleurer que quand il fut parti.

J’étais resté près d’elle sur le perron, d’où elle suivait des yeux la voiture, et je ne songeais pas à me retirer, car, moi aussi, je m’étais contenu et je ne pouvais plus retenir mes sanglots. C’est en ce moment d’affliction suprême où, seul, je partageais énergiquement ses regrets, qu’elle m’ouvrit enfin son cœur.

— Charles ! me dit-elle en se jetant presque dans mes bras, voici la première fois depuis vingt ans que je suis sans lui et sans l’autre. Je n’ai jamais quitté Roger que pour aller embrasser ou regarder