Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/192

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salut pour Roger. Je lui expliquai la douloureuse lutte entre mon attachement pour la comtesse et mon dévouement à son fils, dont je m’étais fait un devoir sacré. Enfin je lui dis que, s’il croyait avoir le droit de me traiter de lâche espion, il n’avait pas celui de me supposer cupide et personnel. Je pouvais lui en donner la preuve, et mon orgueil froissé ne résista pas au désir, peut-être insensé, de la lui donner tout de suite.

— Je n’ai jamais été payé, lui dis-je, je me suis acquitté par de longs et fidèles services des avances que M. de Flamarande m’avait faites pour sauver l’honneur de mon père. Jamais je n’ai voulu, malgré ses offres obstinées, recevoir le moindre dédommagement de mes fatigues de corps et d’esprit. À sa dernière heure, il a voulu me laisser un don de cent mille francs. Les voici, je les ai trouvés sous son oreiller avec mon nom, et vous voyez que déjà je les ai mis sous enveloppe pour les restituer à la succession. Je vous en fais le dépositaire. Je n’en veux pas, je ne veux rien, je n’ai besoin de rien et de personne, et pourtant je n’ai rien ; mais je trouverai un emploi quelconque, il me faut si peu pour vivre ! J’aurai une satisfaction relativement égale à la vôtre, monsieur le marquis, le témoignage de ma conscience, et, comme vous, je pourrai dire que, si je n’ai pas toujours été maître de mes sentiments, du moins je n’ai obéi qu’à une idée de devoir et à un besoin de dévouement.