Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/194

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— Je ne sais si c’est par conviction ou par pitié, lui répondis-je, car je voyais sur sa figure une expression de tristesse, mais je vous répondrai avec franchise. En ce moment-ci, je crois que vous me dites la vérité, et, comme les preuves sur lesquelles j’avais établi mon jugement ont perdu toute valeur, je dois considérer mon propre jugement comme non avenu. Cependant, je me connais, je suis soupçonneux. J’ai une nature inquiète ; j’ai vécu trop longtemps sous l’empire d’un doute que j’ai cru fondé pour passer tout d’un coup de la négation tourmentée à la foi sereine. Je serai repris par mon trouble intérieur à la moindre occasion, et peut-être céderai-je encore à une préoccupation maladive que je prendrai pour une lumière impérieuse. Il faut que je parte, c’est la meilleure des solutions. J’irai en Amérique ou en Australie. J’irai n’importe où, mais toujours assez loin pour n’être pas à craindre à moi-même et aux autres. Laissez-moi prendre congé de vous ; tous les comptes de ma gestion sont établis dans un ordre scrupuleux, et le budget de Ménouville est en parfait équilibre. Quant aux autres affaires du comte de Flamarande, il y a longtemps que je n’y étais plus initié, et je ne pourrais plus donner aucun éclaircissement.

— Écoutez-moi, Charles, dit M. de Salcède avec un soudain accent de bienveillante douceur et en me posant la main sur l’épaule, écoutez-moi bien, et peut-être reprendrez-vous courage. Depuis une