Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je fus stupéfait de l’assurance avec laquelle elle me dit en me regardant en face :

— Eh bien, si vous avez entendu ce que je lui disais, tant mieux. Trouvez-vous étonnant que j’aie donné le plus pur de ma tendresse à un homme qui me rendait mon fils et qui lui donnait toute son existence ? Cherchez donc un autre homme dans le monde qui, même étant le père de cet enfant, lui eût ainsi tout sacrifié jusqu’à aller vivre en paysan dans un désert de neige pour le voir tous les jours et l’instruire lui-même paternellement ! Est-ce M. de Flamarande qui a eu pour Roger ces soins assidus et cette tendresse immense ? On s’en étonnerait peut-être moins chez un vieillard ; mais M. de Salcède était presque un enfant lui-même quand il s’est consacré à mon enfant. Il a été véritablement un ange, et je ne lui aurais pas dit que je l’aimais de toute mon âme ! Est-ce que vraiment, Charles, vous me blâmeriez d’avoir vu en lui depuis ce jour mon meilleur ami ?

Elle parlait avec tant de conviction que je ne trouvais rien à lui répondre à moins de briser les vitres. Elle semblait me dire : « Eh bien, oui, je l’ai aimé le jour où j’ai su que j’étais torturée à cause de lui. Jusque-là j’étais innocente, et Gaston est légitime ; mais l’effet des accusations injustes de mon mari a été de me jeter dans les bras d’un homme plus digne de ma passion. »

Si j’avais pu croire que cela fût vrai, je lui au-