Page:Sand - Les Deux Freres.djvu/80

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nue. Jamais je n’oublierai l’expression héroïque de sa figure en cet instant de crise suprême. C’était un mélange de surprise, de douleur et de joie avec je ne sais quel souffle d’énergique et soudaine résolution. Puis tout à coup, s’apercevant de l’étonnement général, il demanda d’un air ingénu avec son accent de terroir et sa voix vibrante qui pouvaient être entendus de tous :

— Est-ce madame la comtesse ou l’autre dame qui a eu si peur ? Je ne les connais pas.

Cette question mit fin à tout commentaire. On crut que madame de Flamarande, effrayée, éperdue, et ne voyant pas Roger à ses côtés, n’avait songé qu’à lui. Michelin imposa silence, et le cercueil fut installé sans accident cette fois, dans le caveau. Les prêtres dirent les prières d’usage, les dames et Roger reparurent dans la tribune, madame de Flamarande voilée avec soin. Espérance ne retourna pas la tête, et, quand tout fut terminé, il sortit avec les Michelin sans lever les yeux vers sa mère. Ainsi se termina l’incident sans que le public fût initié au secret de la famille. On attribua l’effroi et le moment de délire de la comtesse à la grande affliction où la jetait la mort de son mari ; mais Gaston savait tout : il n’y avait plus à espérer de le tromper.

J’étais trop inquiet pour vouloir le perdre de vue. Je le suivis chez les Michelin, où on le força à boire un peu de vin chaud, bien qu’il ne fît que