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Septième veillée

serait décidé ; mais il ne parut ni au matin ni au soir sur la place. Personne ne le vit dans la ville. Il avait laissé sa musette, mais emporté, la veille, ceux de ses effets qu’il déposait d’ordinaire au logis du père Brulet.

Comme nous revenions le soir, Brulette et moi, avec tout son cortège d’amoureux et d’autres jeunesses de notre paroisse, elle me prit le bras, et, marchant avec moi sur le bas-côté herbu de la route, à part des autres, elle me dit :

— Sais-tu, Tiennet, que me voilà en peine de notre Joset ? Sa mère, que j’ai vue tantôt à la ville, est en grand chagrin et ne se peut imaginer où il aura passé. Il y a longtemps déjà qu’il lui a donné à entendre l’intention qu’il avait de s’en aller un peu plus loin ; mais de savoir où, il n’y a pas eu moyen, et aujourd’hui cette pauvre femme se désole.

— Et vous, Brulette, lui dis-je, m’est avis que vous n’êtes point du tout gaie, et que vous n’avez point dansé du même cœur qu’aux autres fêtes ?

— J’en conviens, répondit-elle. J’ai de l’amitié pour ce pauvre gars lunatique. D’abord, c’est par devoir, à cause de sa mère ; et puis, par accoutumance ; et enfin, c’est pour estime de son flûtage.

— Est-il possible que le flûtage te fasse tant d’effet ?

— L’effet n’en a rien de blâmable, cousin. Qu’est-ce que tu y trouves à reprendre ?

— Rien ; mais…

— Allons, explique-toi donc, fit-elle en riant, car il y a longtemps que tu me chantes je ne sais quelle antienne là-dessus, et je voudrais pouvoir te dire amen pour qu’il n’en soit plus question.

— Eh bien, Brulette, lui dis-je, ne parlons plus de Joseph et parlons de nous deux : ne veux-tu point comprendre que j’ai un grand amour pour toi, et ne me veux-tu point dire si tu y répondras un jour ou l’autre ?