Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/142

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Il ne fallut pas grand temps à une tête si futée pour en savoir long, et, un beau jour, je fus bien étonné de voir qu’elle écrivait des chansons et des prières qui paraissaient moulées finement. Je ne pus m’empêcher de lui demander si c’était pour correspondre avec Joseph ou avec le beau muletier qu’elle s’apprenait des malices au-dessus de son état.

— Il s’agit bien de ce faraud aux oreilles percées ! fit-elle en riant. Me crois-tu fille si peu réfléchie que d’envoyer des lettres à un garçon étranger ? Mais si Joseph nous revient savant, il aura bien fait de se sortir de sa bêtise, et, tant qu’à moi, je ne suis point fâchée non plus d’être un peu moins sotte que je n’étais.

— Brulette, Brulette, lui dis-je, vous mettez votre idée hors de votre pays et de vos amis ! Ça vous portera malheur, prenez-y garde ! Je ne suis pas plus tranquille pour Joseph là-bas que pour vous ici.

— Tu peux être tranquille sur mon compte, Tiennet ; j’ai la tête froide, malgré ce qu’on en dise. Tant qu’à notre pauvre gars, j’en suis bien en peine ; car nous voilà, depuis six mois bientôt, sans nouvelles de lui, et ce beau muletier, qui avait si bien promis d’en donner, n’y a plus songé. La Mariton se désole de l’oubli de Joset, car elle n’a point su sa maladie, et peut-être qu’il est mort sans que personne s’en doute.

Je lui remontrai que, dans ce cas-là, nous en aurions reçu avertissement, et que le manque de nouvelles signifiait toujours bonnes nouvelles.

— Tu diras ce que tu voudras, répondit-elle ; j’ai rêvé, il y a deux nuits, que je voyais arriver ici le muletier, nous rapportant sa musette et nous annonçant qu’il avait péri. Depuis ce rêve, je suis attristée dans mon cœur et me fais reproche d’avoir laissé passer tant de temps sans songer à mon pauvre ami de jeunesse, et sans m’essayer à lui écrire ; mais où lui aurais-je en-