Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/146

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et non point un autre. Je viens exprès de mon pays pour vous parler d’un ami qui, grâce à Dieu, n’est ni mort ni mourant, mais dont cependant il faut que je vous entretienne un peu à loisir. Avez-vous celui de m’écouter ?

— Fort bien oui, dit le père Brulet. Asseyez-vous, mon homme ; on va vous servir.

— Il ne me faut rien, dit Huriel, prenant une chaise. J’attendrai l’heure de votre repas. Mais, avant tout, je me dois faire connaître des personnes à qui je parle.


DIXIÈME VEILLÉE


— Parlez, dit mon oncle, on vous entendra.

Alors le muletier : — Je m’appelle Jean Huriel, muletier de mon état, fils de Sébastien Huriel, qui est dit Bastien le grand bûcheux, maître sonneur très-renommé, et ouvrier très-estimé dans les bois du Bourbonnais. Voilà mes noms et qualités, dont je peux faire preuve et honneur. Je sais que pour gagner plus de confiance, j’aurais dû me présenter à vous comme j’ai le moyen de paraître ; mais ceux de mon état ont une coutume…

— Votre coutume, dit le père Brulet, qui lui portait grande attention, je la connais, mon garçon. Elle est bonne ou mauvaise, selon que vous êtes bons ou mauvais vous-mêmes. Je n’ai pas vécu jusqu’à présent sans savoir ce que c’est que les muletiers, et comme j’ai roulé autrefois hors du pays, je sais vos usages et comportements. On dit vos confrères sujets à beaucoup de méfaits : on en a vu enlever des filles, battre des chrétiens, voire les faire périr dans de méchantes disputes, et leur enlever leur argent.

— Je pense, dit Huriel en riant, qu’on a beaucoup surpassé le mal en le racontant. Les choses dont vous parlez sont si anciennes qu’on n’en pourrait retrouver