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Douzième veillée

— Je n’avais pas mauvaise idée de vous, dit Brulette.

— Et moi, si fait, dans ce moment-là, répondis-je. Je m’en confesse, ne voulant pas mentir.

— Ça vaut toujours mieux, reprit Huriel, et j’espère que tu en reviendras sur mon compte.

— C’est fait, lui dis-je. J’ai vu comme tu étais décidé, et maître de ta colère en même temps, et je reconnais qu’il vaut mieux savoir bien parler en commençant, que de finir par là ; les coups viennent toujours assez tôt. Sans toi, je serais mort à cette heure, et toi aussi, pour me soutenir, ce qui eût été un grand mal pour Brulette. Or donc, nous en voilà dehors, grâce à toi, et je pense que nous devrions en être meilleurs amis tous les trois.

— À la bonne heure ! répondit Huriel en me serrant la main. Voilà le bon côté du Berrichon : c’est son grand sens et son tranquille raisonnement. Êtes-vous donc Bourbonnaise, Brulette, que vous voilà si vive et si têtue ?

Brulette consentit à mettre sa main dans la sienne, mais elle demeura soucieuse ; et comme je pensais qu’elle avait froid, pour s’être beaucoup mouillée dans la rivière, nous la fîmes entrer dans une maison pour changer et se ravigoter d’un doigt de vin chaud. Le jour était venu, et les gens du pays paraissaient de bonne aide et de bon cœur.

Quand nous reprîmes notre voyage, le soleil était déjà chaud, et le pays, un peu élevé entre deux rivières, réjouissait la vue par son étendue, qui me rappelait nos plaines. Le dépit de Brulette était passé ; car en causant avec elle auprès du feu de ces Bourbonnais, je lui avais remontré qu’une honnête fille n’est point salie par des propos d’ivrognes, et que nulle femme ne serait nette si ces propos-là comptaient pour quelque chose. Le muletier nous avait quittés un moment, et quand il revint pour mettre Brulette en selle, elle ne se put tenir de crier d’étonnement. Il s’était lavé, rasé