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Les Maîtres sonneurs

au travail. Attendez-moi encore ; reposez-vous dans notre cabane, qui est la première ici devant vous ; j’irai voir où est notre malade.

— Non, non, dit Brulette, nous irons avec vous !

— Avez-vous donc peur ici ? Vous auriez tort ; vous êtes sur le domaine des bûcheux, et ce ne sont pas, comme les muletiers, des suppôts du diable. Ce sont de braves gens de campagne comme ceux de chez vous, et là où règne mon père, vous n’avez rien à craindre.

— Je n’ai pas peur de votre monde, reprit Brulette, mais bien de ce que je ne vois pas Joset. Qui sait s’il n’est point mort et enseveli ? Depuis un moment, l’idée m’en est venue, et j’en ai le sang figé.

Huriel devint pâle, comme si la même idée le gagnait ; mais il n’y voulut pas donner attention. — Le bon Dieu ne l’aurait pas permis ! dit-il ; descendez, laissez là vos montures qui ne passeraient pas dans le fourré, et venez avec moi.

Il prit une petite sente qui menait à une autre coupe ; mais là encore, nous ne vîmes ni Joseph ni autre personne.

— Vous pensez que ces bois sont déserts, nous dit Huriel, et cependant je vois, aux coupes fraîches, que les bûcheux y ont travaillé tout le matin ; mais c’est l’heure où ils font un petit somme, et ils pourraient bien être couchés dans les bruyères sans que nous les vissions, à moins de marcher dessus. Mais écoutez ! voilà qui me réjouit le cœur ! c’est mon père qui cornemuse, je reconnais sa manière, et c’est signe que Joset ne va pas plus mal, car l’air n’est point triste, et je sais que mon père le serait si un malheur était arrivé.

Nous le suivîmes, et c’était véritablement une si belle musique, que Brulette, encore que pressée d’arriver, ne se pouvait tenir de s’arrêter par moments, comme charmée.

Et sans être aussi porté qu’elle à comprendre une pareille chose, je me sentais secoué aussi dans mes cinq