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Les Maîtres sonneurs

Elles en étaient là quand Huriel, suivi de ses mules, devancé par ses chiens, et monté sur son petit cheval, parut au bout de l’allée où nous étions.

Le muletier venait nous faire ses adieux ; mais rien, dans son air, ne marquait le chagrin d’un homme qui se veut guérir, par la fuite, d’un amour nuisible. Il paraissait, au contraire, dispos et content, et Brulette pensa que Thérence ne l’avait mis au rang de ses amoureux que pour donner une raison de plus, bonne ou mauvaise, à son premier dépit.

Elle essaya même de lui faire dire le vrai motif de son départ, et, comme il prétendait avoir de l’ouvrage qui pressait, Thérence, de son côté, disant le contraire et s’efforçant à le retenir, Brulette, un peu piquée du courage qu’il marquait, lui fit reproche de s’ennuyer en la compagnie des Berrichons. Il se laissa plaisanter et ne voulut rien changer à son dessein ; ce qui finit par offenser Brulette et la porta à lui dire :

— Puisque je ne vous verrai peut-être plus jamais, ne pensez-vous pas, maître Huriel, qu’il serait temps de me rendre un gage qui ne vous appartient pas, et qui vous pend toujours à l’oreille ?

— Oui-dà, répondit-il, je crois qu’il m’appartient comme mon oreille appartient à ma tête, puisque c’est ma sœur qui me l’a donné.

— Votre sœur n’a pu vous donner ce qui est à Joseph ou à moi.

— Ma sœur a fait sa première communion tout comme vous, Brulette, et quand j’ai rendu votre joyau à Joset, elle m’a donné le sien. Demandez-lui si ce n’est point la vérité.

Thérence rougit beaucoup, et Huriel riait en sa barbe. Brulette crut comprendre que le plus trompé des trois était Joseph, qui portait, comme une relique, à son cou, le petit cœur d’argent de Thérence, tandis que le muletier portait toujours celui qui lui avait été confié d’abord. Elle ne se voulut point prêter à cette fraude,