Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/230

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n’avoir reçu aucun mauvais coup et ne pensait point à lui-même : mais, regardez, Brulette, et ne vous écriez pas ; voilà le mouchoir dont je lui ai essuyé la figure et que je croyais mouillé de sa sueur. J’ai vu, en arrivant ici, qu’il était tout trempé de son sang, et il m’a fallu du courage pour retenir mon saisissement devant mon père, qui était bien assez soucieux, et devant Joseph, qui est bien assez malade.

Il se fit un silence, comme si Brulette, en regardant ou en prenant le mouchoir, eût été suffoquée ; puis, Thérence lui dit :

— Rendez-le-moi ; il faut que je le lave dans le premier ruisseau que je rencontrerai.

— Ah ! dit Brulette, laissez-le-moi garder ; je le tiendrai bien caché.

— Non, mon enfant, répondit Thérence ; si les gens de justice avaient l’éveil de quelque bataille, ils viendraient tout bousculer ici, et mêmement fouiller les personnes. Ils sont devenus très-tracassiers depuis quelque temps, et voudraient nous faire renoncer à nos coutumes, qui se perdent bien assez d’elles-mêmes sans qu’ils y mettent la main.

— Hélas ! dit Brulette, ne serait-il pas à souhaiter que la coutume de batailles aussi dangereuses fût ôtée de votre pays ?

— Oui, mais cela dépend de bien des choses auxquelles les juges du roi ne peuvent ou ne veulent rien. Il faudrait qu’ils rendissent la justice, et ils ne la rendent guère qu’à ceux qui ont le moyen de la payer. En est-il autrement dans vos pays ? Vous n’en savez rien, mais je gage bien que c’est comme chez nous. Seulement, les Berrichons ont le sang très-lourd et ils patientent avec le mal qu’on peut leur faire, sans s’exposer à en chercher un pire. Ici, ce n’est point de même. L’homme qui vit dans les forêts, s’il ne se défendait point des méchants comme des loups et des autres mauvaises bêtes, ne pourrait point exister. Est-