Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/259

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s’assemblèrent au bas du ravin pour écouter, au grand contentement de leurs oreilles. Et plusieurs disaient : « C’est un sonneur du Bourbonnais, et, qui plus est, un maître sonneur. Cela se connaît à la science, et pas un de chez nous n’y pourrait jouter. »

Tout en reprenant le chemin de l’auberge, le père Bastien continua de démontrer Joseph, et celui-ci, qui ne s’en lassait point, resta un peu en arrière de nous à l’écouter et à le questionner. Je marchais donc devant avec Thérence, qui, toujours très-serviable et courageuse, m’aidait à remporter les paniers. Brulette, entre les deux couples, allait seule, rêvant à je ne sais quoi, comme elle en prenait le goût depuis quelques jours, et Thérence se retournait souvent comme pour la regarder, mais, dans le vrai, pour voir si Joseph nous suivait.

— Regardez-le donc bien, Thérence, lui dis-je en un moment où elle en paraissait toute angoissée ; car votre père l’a dit : Quand on se quitte pour un jour, c’est peut-être pour toute la vie.

— Oui, répondit-elle ; mais aussi quand on croit se quitter pour toute la vie, il peut se faire que ça ne soit que pour un jour.

— Vous me rappelez, repris-je, qu’en vous voyant, une fois, vous envoler comme une songerie de ma tête, je pensais bien ne vous retrouver jamais.

— Je sais ce que vous voulez dire, fit-elle. Mon père m’en a rafraîchi la souvenance, hier, en me parlant de vous : car mon père vous aime beaucoup, Tiennet, et fait de vous une estime très-grande.

— J’en suis content et honoré, Thérence ; mais je ne sais guère en quoi je la mérite, car je n’ai rien de ce qui annonce un homme tant si peu différent des autres.

— Mon père ne se trompe pas dans ses jugements, et ce qu’il pense de vous, je le crois ; mais pourquoi, Tiennet, cela vous fait-il soupirer ?

— Ai-je donc soupiré, Thérence ? C’est malgré moi.

— Sans doute, c’est malgré vous ; mais ce n’est