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Les Maîtres Sonneurs

— Il s’y attendait bien, reprit Brulette. N’est-ce pas dans l’ordre, qu’il entre en condition sitôt le sacrement reçu ? Si je n’avais le bonheur d’être seule enfant à mon grand-père, il me faudrait bien aussi quitter la maison et gagner ma vie chez les autres.

Brulette ne me parut pas avoir grand regret de se séparer de Joseph ; mais quand je lui eus dit que la Mariton allait se louer aussi et demeurer loin d’elle, elle se prit à sangloter et, courant la trouver, elle lui dit en lui jetant ses bras au cou :

— Est-ce vrai, ma mignonne, que vous me voulez quitter ?

— Qui t’a dit cela ? répondit la Mariton : ce n’est point encore décidé.

— Si fait, s’écria Brulette, vous l’avez dit et me le voulez tenir caché.

— Puisqu’il y a des gars curieux qui ne savent point retenir leur langue, dit la voisine en me regardant, il faut donc que je te le confesse. Oui, ma fille, il faut que tu t’y soumettes comme un enfant courageux et raisonnable qui a donné aujourd’hui son âme au bon Dieu.

— Comment, mon papa, dit Brulette à son grand-père, vous êtes consentant de la laisser partir ? qui est-ce qui aura donc soin de vous ?

— Toi, ma fille, répondit la Mariton. Te voilà assez grande pour suivre ton devoir. Écoute-moi, et vous aussi, mon voisin, car voilà la chose que je ne vous ai point dite…

Et, prenant la petite sur ses genoux, tandis que j’étais dans les jambes de mon oncle (son air chagrin m’ayant attirée à lui), la Mariton continua à raisonner pour l’un et pour l’autre.

— Il y a longtemps, dit-elle, que, sans l’amitié que je vous devais, j’aurais eu tout profit à vous payer pension pour mon Joseph, que vous m’auriez gardé, tandis que j’aurais amassé, en surplus, quelque chose au service