Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/396

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bien que nous étions là comme une colonie, campée partie dans le bourg, partie dans les ruines, travaillant tous de bon cœur sous la conduite d’un homme juste qui savait ce que c’est que la peine à ménager et le courage à récompenser, et nous réunissant tous les soirs pour manger ensemble sur le préau, écouter et raconter des histoires, chanter et folâtrer à la fraîche, et faisant bal, le dimanche, avec toute la jeunesse du pays, qui nous savait tant de gré de la musique bourbonnaise, qu’on nous apportait de petits présents de tous les côtés, et nous considérait on ne peut plus.

Le travail était rude, à cause de la pente de la futaie qui se trouvait quasiment à pic sur la rivière, et l’abatage offrait de grands dangers. J’avais fait, au bois de l’Alleu, l’expérience du caractère vif du grand bûcheux. Comme il n’avait que des ouvriers de choix pour sa partie, et que les dépeceurs étaient à leurs pièces, il n’avait pas sujet de s’impatienter ; mais j’avais l’ambition de devenir un fendeux du premier ordre pour lui complaire, et je craignais que mon apprentissage ne me fît encore traiter de maladroit et d’imprudent, ce qui m’eût bien mortifié devant Thérence. Aussi priai-je Huriel de m’en faire à part la démonstration et de me laisser le bien observer dans la pratique. Il s’y prêta de son mieux, et j’y portai un si bon vouloir, qu’en peu de jours j’étonnai le maître par mon habileté. Il m’en fit compliment, et mêmement me demanda devant sa fille pourquoi je me donnais si vaillamment à un état qui ne m’était point de nécessité en mon endroit. — C’est, lui répondis-je, que je ne serais pas fâché d’être bon à gagner ma vie en tout pays. On ne sait point ce qui peut arriver, et si j’aimais une femme qui me voulût emmener au fond des bois, je l’y suivrais, et l’y soutiendrais aussi bien qu’un autre.

Et, pour marquer à Thérence que je n’étais pas si câlin qu’elle le pensait peut-être, je m’exerçais à coucher