Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
Les Maîtres Sonneurs

son grand-père et gouverne son avoir comme ferait une petite femme. Allons, prends courage et ne me retire pas le peu qui m’en reste, car si tu as de la peine pour cette départie, j’en ai encore plus que toi. Songe que je quitte aussi le père Brulet, qui était pour moi le meilleur des amis, et mon pauvre Joset, qui va trouver sa mère et votre maison bien à dire. Mais puisque c’est par le commandement de mon devoir, tu ne m’en voudrais point détourner.

Brulette pleura encore jusqu’au soir, et fut hors d’état d’aider la Mariton en quoi que ce soit ; mais, quand elle la vit cacher ses larmes tout en préparant le souper, elle se jeta encore à son cou, lui jura d’observer ses paroles, et se mit à travailler aussi d’un grand courage.

On m’envoya quérir Joseph qui oubliait, non pour la première fois ni pour la dernière, l’heure de rentrer et de faire comme les autres.

Je le trouvai en un coin, songeant tout seul et regardant la terre, comme si ses yeux y eussent voulu prendre racine. Contre sa coutume, il se laissa arracher quelques paroles où je vis plus de mécontentement que de regret. Il ne s’étonnait point d’entrer en service, sachant bien qu’il était en âge et ne pouvait faire autrement ; mais, sans marquer qu’il eût entendu les desseins de sa mère, il se plaignit de n’être aimé de personne, et de n’être estimé capable d’aucun bon travail.

Je ne le pus faire expliquer davantage, et, durant la veillée, où je fus retenu pour faire mes prières avec Brulette et lui, il parut bouder, tandis que Brulette redoublait de soins et de caresses pour tout son monde.

Joseph fut loué au domaine de l’Aulnières, chez le père Michel, en office de bouaron.

La Mariton entra comme servante à l’auberge du Bœuf couronné, chez Benoît, de Saint-Chartier.

Brulette resta auprès de son grand-père, et moi chez