Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/448

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— Et où donc allez-vous, mon père ? dit Thérence en l’entourant de ses bras avec frayeur.

— Je vas musiquer un peu par les chemins avec Joseph, répondit-il, car il a besoin de cela, et moi, il y a trente ans que j’en jeûne.

Ni larmes ni prières ne le purent retenir, et nous leur fîmes la conduite jusqu’à moitié chemin de Sainte-Sevère. Là, tandis que nous embrassions le grand bûcheux avec beaucoup de chagrin, Joseph nous dit : — Ne vous désolez point. C’est à moi, je le sais, qu’il sacrifie la vue de votre bonheur, car il a pour moi aussi le cœur d’un père, et il sait que je suis le plus à plaindre de ses enfants ; mais peut-être n’aurai-je pas longtemps besoin de lui, et j’ai dans l’idée que vous le reverrez plus tôt qu’il ne le croit lui-même.

Là-dessus, pliant les genoux devant ma femme et devant celle d’Huriel :

— Mes chères sœurs, dit-il, je vous ai offensées l’une et l’autre, et j’en ai été assez puni par mes pensées. Ne me voulez-vous point pardonner, afin que je me pardonne et m’en aille plus tranquille ?

Toutes deux l’embrassèrent de grande affection, et il vint ensuite à nous, nous disant, avec une surprenante abondance de cœur, les meilleures et les plus douces paroles qu’il eût dites de sa vie, nous priant aussi de lui pardonner ses fautes et de garder mémoire de lui.

Nous montâmes sur une hauteur pour les voir le plus longtemps possible. Le grand bûcheux sonnait généreusement dans sa musette, et, de temps en temps, se retournait pour agiter son bonnet et nous envoyer des baisers avec la main.

Joseph ne se retourna point. Il marchait en silence et la tête baissée, comme brisé ou recueilli. Je ne pus m’empêcher de dire à Huriel que je lui avais trouvé sur la figure, au moment du départ, ce je ne sais quoi que j’y avais remarqué souvent dans sa première jeunesse, et