vue, je me déciderais pour le courage encore plus que pour l’argent. Mais Brulette n’a pas assez de l’un ni de l’autre pour tenter un homme sage. »
Je voyais bien que mon père avait raison ; mais les beaux yeux et les douces paroles de ma cousine avaient encore plus raison que lui avec moi et avec tous les autres jeunes gens qui la recherchaient : car vous pensez bien que je n’étais pas le seul, et que, dès l’âge de quinze ans, elle se vit entourée de marjolets de ma sorte, qu’elle savait retenir et gouverner comme son esprit l’y avait portée de bonne heure. On peut dire qu’elle était née fière et connaissait son prix, avant que les compliments lui en eussent donné la mesure. Aussi aimait-elle la louange et la soumission de tout le monde. Elle ne souffrait point qu’on fût hardi avec elle, mais elle souffrait bien qu’on y fût craintif, et j’étais, comme bien d’autres, attaché à elle par une forte envie de lui plaire, en même temps que dépité de m’y trouver en trop grande compagnie.
Nous étions deux, pourtant, qui avions permission de lui parler d’un peu plus près, de lui donner du toi, et de la suivre jusqu’en sa maison quand elle revenait avec nous de la messe ou de la danse. C’était Joseph Picot et moi ; mais nous n’en étions pas plus avancés pour ça, et peut-être que, sans nous le dire, nous nous en prenions l’un à l’autre.
Joseph était toujours à la métairie de l’Aulnières, à une demi-lieue de chez Brulet et moitié demi-lieue de chez moi.
Il avait passé laboureur, et sans être beau garçon, il pouvait le paraître aux yeux qui ne répugnent point aux figures tristes. Il avait la mine jaune et maigre, et ses cheveux bruns, qui lui tombaient à plat sur le front et au long des joues, le rendaient encore plus chétif dans son apparence. Il n’était cependant ni mal fait, ni mal gracieux de son corps, et je trouvais, dans sa mâchoire sèchement coudée, quelque chose que j’ai toujours