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Les Maîtres Sonneurs

— Il est pis que ça, répondit Brulette, il est égoïste.

Égoïste était un mot de monsieur le curé, que Brulette avait retenu et qui n’était point usité chez nous de mon temps. Comme Brulette avait une grande mémoire, elle disait comme cela quelquefois des paroles que j’aurais pu retenir aussi, mais que je ne retenais point, et partant, n’entendais point.

J’eus la mauvaise honte de ne pas oser lui en demander l’explication et d’avoir l’air de m’en payer. Je m’imaginai d’ailleurs que c’était une maladie mortelle que Joseph avait, et qu’une si grande disgrâce condamnait toutes mes injustices. Je demandai pardon à Brulette de l’avoir tourmentée, ajoutant :

— Si j’avais su plus tôt ce que tu me dis, je n’aurais eu ni fiel ni rancune contre ce pauvre garçon.

— Comment ne t’en es-tu jamais aperçu ? reprit-elle. Ne vois-tu pas comme il se laisse prévenir et obliger, sans avoir jamais l’idée d’en faire un remercîment ; comme le moindre oubli l’offense, comme la moindre plaisanterie le choque, comme il boude et souffre à toute chose qui ne serait point remarquée d’un autre, et comme il faut toujours mettre du sien dans l’amitié qu’on a pour lui, sans qu’il comprenne que ce n’est point son dû, mais le rendu qu’on fait à Dieu, pour l’amour du prochain ?

— C’est donc l’effet de sa maladie ? dis-je, un peu intrigué des explications de Brulette.

— N’est-ce point la pire qu’on puisse avoir dans le cœur ? répondit-elle.

— Et sa mère sait-elle qu’il a comme ça dans le cœur une maladie sans remède ?

— Elle s’en doute bien, mais tu comprends que je ne lui en parle point, de crainte de l’affliger.

— Et n’a-t-on point tenté quelque chose pour sa guérison ?

— J’y ai fait et j’y ferai encore mon possible, répon-