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Les Maîtres Sonneurs

coutume d’entendre que ça me représentait un sabbat de fous.

— Oh ! oh ! que je lui dis quand il eut fini, voilà bien la musique enragée ! Où diantre prends-tu tout ça ? à quoi que ça peut servir, et qu’est-ce que tu veux signifier par là ?

Il ne me fit point réponse, et sembla même qu’il ne m’entendait point. Il regardait Brulette qui s’était appuyée contre une chaise et qui avait la figure tournée du côté du mur.

Comme elle ne disait mot, Joset fut pris d’une flambée de colère, soit contre elle, soit contre lui-même, et je le vis faire comme s’il voulait briser sa flûte entre ses mains ; mais, au moment même, la belle fille regarda de son côté, et je fus bien étonné de voir qu’elle avait des grosses larmes au long des joues.

Alors Joseph courut auprès d’elle, et, lui prenant vivement les mains :

— Explique-toi, ma mignonne, dit-il, et fais-moi connaître si c’est de compassion pour moi que tu pleures, ou si c’est de contentement ?

— Je ne sache point, répondit-elle, que le contentement d’une chose comme ça puisse faire pleurer. Ne me demande donc point si c’est que j’ai de l’aise ou du mal ; ce que je sais, c’est que je ne m’en puis empêcher, voilà tout.

— Mais à quoi est-ce que tu as pensé, pendant ma flûterie ? dit Joseph en la fixant beaucoup.

— À tant de choses, que je ne saurais point t’en rendre compte, répliqua Brulette.

— Mais enfin, dis en une, reprit-il sur un ton qui signifiait de l’impatience et du commandement.

— Je n’ai pensé à rien, dit Brulette ; mais j’ai eu mille ressouvenances du temps passé. Il ne me semblait point te voir flûter, encore que je t’ouïsse bien clairement ; mais tu me paraissais comme dans l’âge où nous demeurions ensemble, et je me sentais comme