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les sept cordes de la lyre

quefois dans la chambre du philosophe à minuit ? (Haut.) Maître, c’est moi, Wilhelm.

ALBERTUS. Je te croyais à la fête.

WILHELM. J’en viens. J’ai vainement essayé de me divertir. Autrefois, il ne m’eût fallu que respirer l’air d’une fête pour sentir mon cœur tressaillir de jeunesse et de bonheur ; aujourd’hui, c’est différent !

ALBERTUS. Ne dirait-on pas que l’âge a glacé ton sang ! C’est la mode, au reste ! Tous les jeunes gens se disent blasés. Encore, s’ils quittaient les plaisirs pour l’étude ! mais il n’en est rien. Leur amusement consiste à se faire tristes et à se croire malheureux. Ah ! la mode est vraiment une chose bizarre !

WILHELM. Maître, je vous admire, vous qui n’êtes jamais ni triste ni gai ; vous qui êtes toujours seul, et toujours calme ! L’allégresse publique ne vous entraîne pas dans son tourbillon ; elle ne vous fait pas sentir non plus l’ennui de votre isolement. Vous entendez passer les sérénades, vous voyez les façades s’illuminer, vous apercevez même d’ici le bal champêtre avec ses arcs en verres de couleur et ses légères fusées qui retombent en pluie d’or sur le dôme verdoyant des grands marronniers ; et vous voilà devisant philosophiquement peut-être sur le rapport qui peut exister entre votre paisible subjectivité et l’objectivité délirante de tous ces petits pieds qui dansent là-bas sur l’herbe ! Comment ! ces robes blanches qui passent et repassent comme des ombres à travers les bosquets ne vous font pas tressaillir, et votre plume court sur le papier comme si c’était une ronde de watchmen qui interrompt le silence de la nuit ?

ALBERTUS. Ce que j’éprouve à l’aspect d’une fête ne peut t’intéresser que médiocrement. Mais toi-même,