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les sept cordes de la lyre

Méphistophélès. Quelles folies me racontez-vous là ? Meinbaker avait la tête pleine de contes de fées. Il prétendait qu’Adelsfreit avait demandé à Dieu de mettre son âme dans cette lyre, et que Dieu, pour le punir d’avoir ainsi joué avec son héritage céleste, l’avait condamné à vivre enfermé dans cet instrument jusqu’à ce qu’une main vierge de tout péché l’en délivrât.

Méphistophélès. Et, à l’instant même où il eut prononcé ce vœu téméraire, il mourut subitement.

Albertus. Son esprit était égaré depuis quelque temps ; il se donna la mort volontairement.

Méphistophélès. Tout ceci renferme une charmante allégorie.

Albertus. Laquelle ?

Méphistophélès. C’est que le savant, comme l’artiste, se doit à la postérité. Le jour où l’amour de l’art et de la science devient une satisfaction égoïste, l’homme qui sacrifie l’avantage des autres hommes à son plaisir est puni dans son œuvre même. Elle reste enfouie, oubliée, inutile, pendant des siècles ; sa gloire se perd dans les nuages dont la superstition l’environne ; et, pour avoir dédaigné de se révéler à ses contemporains, il est condamné à n’être tiré de la poussière que par un esprit simple qui profite de ses découvertes et usurpe sa renommée.

Albertus. J’aime cette interprétation ; je savais bien que vous étiez un homme plus sérieux que vous ne voulez le paraître.

Méphistophélès. Puisque vous me faites tant d’honneur, profitez, maître Albertus, d’un conseil très-sérieux : ne négligez pas de pénétrer le mystère qui vous paraît encore envelopper les propriétés de