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les sept cordes de la lyre

la foi par une forte réaction. Il faut que vous connaissiez les passions, leurs angoisses, leurs périls, leurs fureurs même. Il faut, en un mot, que vous passiez par l’épreuve du feu ; ensuite, vous rendrez témoignage de votre foi, car vous aurez connu la vie, et vous ne vous tromperez plus.

albertus. Vous me donnez un odieux conseil. Croyez-vous donc que l’âme humaine soit assez folle pour résister à une telle épreuve ? C’est tenter Dieu que de s’abandonner au mal de gaieté de cœur. Quiconque essayera ses forces de la sorte le payera cher et perdra, dans l’exercice des mauvais instincts, le sentiment et le désir de l’idéal.

méphistophélès. Qui vous parle de faire le mal et de cultiver les instincts grossiers ? Vous oubliez que je suis philosophe aussi bien que vous, quoique je ne sois pas patenté. Je ne vous conseille pas de vous avilir, mais de vous retremper. Il est une seule passion, grande dans ses puérilités, généreuse dans ses emportements, sublime dans ses délires : c’est l’amour. Vous vous êtes trompé quand vous avez cru que votre idéal pouvait absorber toute la flamme déposée dans votre sein. Cette flamme est de deux natures : l’une est pour le ciel, l’autre pour la terre ; et l’une ne peut pas plus dévorer l’autre, que la volonté humaine ne peut étouffer l’une des deux. (Posant sa main sur le bras d’Albertus.) Qui le sait mieux que vous, mon cher philosophe ? Cette flamme terrestre vous consume, et rien n’a pu encore l’éteindre en vous !

albertus, tressaillant et se parlant à lui-même. Ses paroles embrasent mon sang, et pourtant sa main me glace comme si elle était de marbre !

méphistophélès, lui tenant toujours la main. Donnez un