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les sept cordes de la lyre

ans, vous êtes la victime d’une erreur, voilà tout. Il est temps de vous en affranchir. Vous avez pensé qu’un philosophe devait être un saint ; et, au lieu de chercher la sainteté dans l’emploi bien dirigé de vos facultés, vous avez suivi la vieille routine des dévots en tâchant d’éteindre ces facultés mêmes. Ce qui doit vous amener à reconnaître votre illusion, c’est que vous devez vous souvenir des doutes qui ont torturé votre âme depuis le jour où vous êtes entré dans cette carrière jusqu’à celui-ci ; c’est aussi que vos facultés n’ont fait que grandir et réclamer toujours plus impérieusement leur emploi. Le maître que vous invoquez, et avec lequel vous vous croyez en rapport direct, serait bien ingrat et bien fou de ne point vous secourir si, en vous immolant ainsi, vous aviez rempli ses intentions. Apprenez donc à reconnaître, dans la révolte des besoins de votre cœur, la légitimité de ces besoins, ou doutez de cette puissance céleste que vous appelez toujours en témoignage et à qui vous offrez tous vos sacrifices. Voyons, de quelle mission vous croyez-vous investi en ce moment ? Est-ce de faire votre salut comme un chartreux, ou de chercher la sagesse afin de l’enseigner aux hommes comme un philosophe ? Si c’est le dernier cas, apprenez qu’on n’enseigne pas ce qu’on ignore. La sagesse que vous pratiquez est un état exceptionnel qui pourra former tout au plus deux ou trois adeptes placés, comme vous, dans une voie d’exception ; c’est une vertu de fantaisie qui rentre dans la série des essais artistiques ; et vous, qui demandez toujours compte aux poëtes de la moralité et de l’utilité de leurs travaux, vous seriez fort embarrassé de prouver en quoi votre cénobitisme peut être profitable à la société.