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lettres à marcie

prétendu système, je ne vois point que l’humanité en ait souffert beaucoup, ni que le salut des empires en ait été compromis sérieusement. Seulement, je proteste un peu, en remettant ces Lettres à Marcie sous les yeux des lecteurs, contre la trop bienveillante obstination de mon éditeur. Il me semble qu’un écrit incomplet n’a pas le droit de se montrer une seconde fois en public sans que l’auteur ait pris la peine d’y mettre la dernière main. Il m’est impossible en ce moment de le faire ; et, en eussé-je le temps, je ne vois pas qu’une forme essayée vaille mieux qu’une autre forme qu’on pourrait tenter pour émettre l’idée dont on se sent dominé. Pour un artiste, il n’y a de forme heureuse et féconde, à ses yeux, que celle qui l’inspire dans le moment même. L’ébauche d’hier est déjà flétrie pour lui, et chacun sait que les ouvrages d’imagination n’ont ni veille ni lendemain. Le peintre consciencieux n’aime plus son tableau quand il le voit sorti de son atelier, éclairé d’un autre rayon de soleil que celui sous lequel il s’était senti inspiré. Ô vous qui lisez et qui n’écrivez pas ! vous ne savez pas combien le livre imprimé, et surtout réimprimé, paraît insipide et froid à celui qui l’a écrit avec quelque émotion sur un papier encore vierge, au reflet de sa lampe solitaire. Ceci est pour vous demander pardon en conscience de la réimpression des Lettres à Marcie, fragment sans portée, qui ne méritait pas l’honneur d’être lu deux fois.

Mai 1843.