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carl

gros pourboire. Quelque temps après, je fus tellement maltraité pour avoir laissé voir le retour de ma passion, que je fis une maladie grave, et la phrase sacrée s’endormit dans ma mémoire. Je ne la retrouvai plus qu’avant-hier, lorsque vous la jouâtes sur la flûte ; mon cœur bondit de joie en la reconnaissant, et, depuis ce moment, j’ai fait des efforts incroyables pour l’empêcher de sortir de mes lèvres.

— Et comment ne m’avez-vous pas dit alors que vous la connaissiez ?

— D’abord, j’ai cru qu’elle n’avait rien de particulier, et que c’était une composition connue ; c’est pourquoi je n’ai pas été surpris de vous l’entendre jouer. Ensuite, pour rien au monde je n’aurais osé vous confesser mon goût pour la musique. On m’a habitué à regarder ce goût comme une folie dont je devais rougir, ou comme une désobéissance que je devais expier sous le bâton. Je savais bien que vous ne me frapperiez pas ; mais je craignais de vous déplaire, vous si bon pour moi, et j’étais résolu à chasser cette funeste passion de mon cerveau, afin de me consacrer à votre service et de me corriger de ces négligences et de ces distractions auxquelles ma mélancolie me rend trop sujet. Je crains que cela ne soit au-dessus de mes forces, car, depuis que je suis avec vous, je me sens plus malade, plus tourmenté de rêves étranges ; il me semble que je marche, que je cours, que je chante en dormant. Mais tout cela, c’est de la folie !… Je n’y veux plus penser ; ayez compassion de moi !

Ces dernières paroles me furent un trait de lumière ; je résolus d’éclaircir mes soupçons, et, laissant croire à Carl que je désapprouvais sa vocation musicale, je repris avec lui le chemin de T… À la clarté du jour,