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le dieu inconnu

sous les sombres voûtes des catacombes. Il fut saisi, ce soir-là, plus que de coutume, d’un sentiment d’inexprimable douleur, car une tendresse infinie naissait vite et se cimentait fortement entre ces hommes voués au sacrifice, et leur âme était souvent partagée entre l’amertume des regrets humains et la joie d’un divin enthousiasme.

Le prêtre chrétien restait debout devant l’autel et ne songeait plus à prier. La fatigue de son corps maigri par le jeûne, le froid du caveau, la solennité des adieux quotidiens, l’aspect de ce cercueil où, chaque jour, depuis plus d’un mois, un cadavre mutilé venait recevoir la couronne humide encore du sang d’un autre martyr, tout le ramenait à un sentiment de personnalité auguste et terrible. Il s’agenouilla enfin devant le Christ, en s’écriant :

— Ô mon maître ! si je dois boire ce calice, épargne-m’en la lie ; si je dois remplir ce cercueil, fais que ce soit demain, afin que je n’y voie plus descendre aucun de mes frères, et que les larmes de mon cœur soient taries.

En ce moment, il entendit frapper doucement à une porte que les fidèles avaient dressée et fermée au dedans, afin que ce souterrain n’eût qu’une issue (celle par laquelle Pamphile les avait vus s’éloigner), et que les moyens de surprise fussent plus rares. Celui qui s’y présentait alors ne pouvait donc être qu’un espion, ou un frère récemment arrivé du dehors et forcé par les poursuites de se réfugier précipitamment dans les caves. Pamphile se leva sans hésiter et alla tirer les verrous d’une main ferme. Peut-être avait-il cru reconnaître les pas d’Eusèbe, son ami, qu’il avait laissé à Césarée, avide de venir