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la fille d’albano

mais ! l’enceinte où devaient s’enfermer ses affections, ses rêves et ses espérances ! À elle une maison, des devoirs ! À cette âme libre et fière, dont le monde à peine était la patrie, un espace de terrain limité, des chemins qui devaient toujours porter dans le même jour l’empreinte de ses pas tournés vers l’horizon, et l’empreinte de ces mêmes pas retournant au point de départ ! Un toit écrasé pour couvrir, chaque soir, sa tête ardente de voyages, un climat ramenant avec régularité le chaud et le froid, sans qu’elle pût jamais hâter le soleil ou se soustraire à la bise glacée ! Dans une heure, tout serait dit…

Un froid mortel tomba sur son cœur.

Et puis elle pensa à Aurélien… L’amour est comme la magie, il rend naturel ce qui semblait impossible. L’artiste redevint femme, et les rêves d’un autre bonheur effacèrent les regrets futiles d’un bonheur perdu.

Où trouver une âme assez forte, assez sceptique, pour hésiter devant les promesses de l’amour, pour repousser ces serments si flatteurs à l’oreille et qui sont si doux au cœur ? Si cette âme existe, ce n’est pas du moins celle d’une femme. Elle rêvait donc de bonheur et d’amour, lorsque des pas firent crier le sable à ses côtés… C’était un homme en habits de voyage, couvert de poussière ; une chevelure en désordre tombait sur son front large et safrané ; sa barbe était épaisse et noire, et ses grands yeux, enfoncés sous leurs orbites, étaient vifs et brûlants comme des éclairs.

— Oh ! mon Dieu ! c’est toi ! s’écria Laurence en se jetant dans ses bras ; c’est toi ! Tu as donc voulu que ce jour fût le plus beau de ma vie ?…