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les sept cordes de la lyre

quel frais gosier !… Oh ! la jolie modulation ! Pauvre petite, on ne t’a rien appris, à toi, tu en sais pourtant plus long que moi… (Elle laisse tomber son livre.) Comme le soleil est déjà chaud !… Il entre ici comme un fleuve de poudre d’or… J’ai envie d’aller cueillir un beau bouquet pour orner le cabinet de maître Albertus. Il me dira : « Comment, vous avez pensé à moi, chère enfant ?… » Quoique, après tout, il n’aime pas beaucoup les fleurs ; il y jette un coup d’œil en disant : « C’est bien beau ! » mais il me trouve niaise de regarder si sérieusement un brin de muguet. — Oh ! je ne veux pas lui mettre de fleurs sous les yeux, car hier il a parlé de me donner un professeur de botanique… Ah ! ciel ! s’il me fallait apprendre tous vos noms en grec et en latin, je ne vous aimerais bientôt plus, mes pauvres petites ! Oh ! le soleil ! que c’est bon ! Et la brise du matin… Ah ! bonjour, hirondelle ! ne vous gênez pas, continuez votre nid à la fenêtre. Oh ! mon Dieu, si cela vous intimide, je ne vous regarderai pas travailler… Comme vos petits pieds sont jolis ! — Il faut pourtant que je ferme la fenêtre et le rideau ; car maître Albertus n’aime pas beaucoup l’éclat du jour. Il a tant usé ses yeux à travailler la nuit !… C’est pourtant dommage de ne plus voir le soleil donner sur les rayons de la bibliothèque. Je vais m’amuser à regarder la lyre, mais je n’y toucherai pas. C’était la manie de mon père de se fâcher quand j’en approchais. Pauvre père ! Cela me rappelle bien des choses confusément… mais des choses tristes !… Je ne veux pas me souvenir. (Elle essuie une larme. — Méphistophélès entre sous la figure d’un vieux juif.)