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les sept cordes de la lyre

sances du ciel ou de l’enfer qui ont présidé à ta formation viendront se soumettre à moi et m’obéir comme au grand Adelsfreit lui-même.

LE CRITIQUE. Prenez garde : ce qui s’est passé sous nos yeux tient en effet du prodige, et doit vous servir d’enseignement…

LE MAESTRO. Vous doutez de ma puissance ?

LE CRITIQUE. Oui, j’en doute, permettez-moi de vous le dire. Je vous ai assez loué en public, je vous ai rendu assez de services pour que vous ayez en moi un peu de confiance. Contentez-vous des couronnes que ma bienveillance vous a décernées ; contentez-vous de la renommée que ma plume vous a acquise. Vous avez abusé les hommes ; ne vous jouez point aux esprits d’un autre ordre…

LE MAESTRO. Je ne sais ce que vous voulez dire, et je crains que, pour avoir porté une main profane sur la lyre, vous aussi, vous n’ayez perdu l’esprit. Je ne dois ma renommée qu’à mes chefs-d’œuvre, et ce n’est point la plume vénale d’un folliculaire qui peut décerner des couronnes. Le génie se couronne lui-même ; il cueille ses lauriers de ses propres mains, et il méprise les conseils intéressés des flatteurs qui voudraient le faire douter de sa force, afin de se donner de l’importance.

LE CRITIQUE, lui tendant la lyre. Vous le voulez ! Soit : que votre témérité insensée porte ses fruits, et que votre destinée s’accomplisse.

LE MAESTRO. Tombez à genoux, valet !

MÉPHISTOPHÉLÈS.. Ah ! Cette fois, lyre, tu es perdue !

LE MAESTRO, il prend la lyre et en tire des sons aigres et discordants. Voilà qui est étrange. Muette ! muette pour moi comme pour le poète !