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Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/103

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Quand nous repassâmes devant l’île des Fous, Beppa se plaignit qu’on lui fît faire deux fois cette route. — Je déteste leurs cris, dit-elle ; cela me rend malade, et ma souffrance n’adoucit point la leur. — Ils ne crient pas toujours, lui dis-je en lui montrant le vieillard que nous avions vu deux heures auparavant. Il était toujours à la même place et dans la même attitude. Sa figure était pâle et morne comme nous l’avions laissée, et il contemplait encore les flots. — C’est bien pis que s’il criait, dit Beppa. Mon Dieu ! quelle effrayante figure ! quel calme désespoir ! À quoi songe-t-il et que regarde-t-il ? Que se passe-t-il dans cette tête chauve qui ne sent pas les rayons du soleil ? Ils sont lourds comme du plomb, et il les supporte depuis deux heures ! — Et peut-être les supporte-t-il ainsi tous les jours, dit le docteur. J’en ai connu un qui se croyait un aigle, et qui s’est tellement obstiné à regarder le soleil, qu’il en est devenu aveugle. Quand il eut perdu la vue, sa fantaisie n’en fut que plus opiniâtre. Il croyait en contempler encore le disque lumineux, et prétendait, au milieu des ténèbres de la nuit, voir sa chambre inondée d’une clarté éblouissante. — Plaise à Dieu, dit Beppa, que celui-ci ait quelque manie stupide de ce genre ! il ne souffrirait pas. Mais je crains bien qu’à cette heure il ne soit pas fou, et qu’il sache seulement qu’il est captif. Comme il regarde l’horizon ! Pauvre homme ! tu n’iras jamais jusqu’à cette première lame de l’Adriatique, et il y a peut-être dans ton cerveau un volcan qui voudrait te lancer au bout du monde. — Il ne s’en est peut-être pas fallu l’épaisseur d’un cheveu sous son crâne, dit le docteur, qu’il ne fût un homme de génie et qu’il ne remplît l’univers de son nom. Peut-être y a-t-il des instants où il le sent, et où il s’aperçoit qu’il faut mourir à l’hôpital des fous ! — Voguons, voguons, dit Beppa ; voici le front de l’abbé qui se plisse………

La lune montait dans le ciel, quand, après avoir dîné lon-