Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/113

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et une plus humaine tendresse pour la Divinité ; ce n’est pas le ciel seul qu’elles contemplent, c’est Jésus, Dieu d’amour et de pardon, qu’elles caressent saintement.

Enfin, Giambellino et Vivarini, les peintres aimés de Beppa, avaient confié au sourire de leurs madonnettes la naïve jeunesse de leurs cœurs. — Ô Giambellino ! s’écria Beppa, que je t’aurais aimé ! que je me serais plu a tes puérilités charmantes ! comme j’aurais soigné ton chardonneret bien-aimé ! comme j’aurais écouté dans mes rêves la viole et la mandoline de tes petits anges voilés de leurs longues ailes, souples, mélodieux et mignons comme des mésanges ! Que j’aurais respiré avec délices ces fleurs que ta main a ravies à l’Éden, et que firent éclore les pleurs d’Ève et de Marie ! Comme j’aurais frémi en baisant le léger feuillage qui flotte sur les cheveux d’or de tes pâles chérubins ! Comme j’aurais timidement contemplé tes vierges adolescentes, si pures et si saintes que le regard humain craint de les profaner ! J’aurais conservé mon âme sereine afin de leur ressembler. — Tu leur ressembles, Beppa ! s’écria l’abbé avec un regard qu’il lança sur elle comme un éclair. Mais il reporta aussitôt sa vue sur la grande et sombre madone grecque, emblème de souffrance et d’énergie, qui se dressait au-dessus de nos têtes. — Ô foi triste et sublime ! dit-il en étouffant un soupir. Le visage de cet honnête jeune homme exprima la satisfaction d’un douloureux triomphe, et le sourire d’amertume que l’indignation généreuse ramène si souvent sur ses lèvres s’effaça pour tout le jour. « Qu’on m’impose des sacrifices, me dit-il souvent, qu’on m’ordonne de vaincre et de macérer l’imagination rebelle, d’enfoncer dans mon cœur les sept dards qui percent le sein de Marie ; qu’on me donne à souffrir, c’est bien. Ce qui tue, c’est l’inaction, c’est de sentir tout son être inutile, toute sa force perdue ; c’est de n’avoir rien à combattre, rien à immoler. » Je ne serais pas surpris que l’abbé se laissât aller parfois à caresser des pensées dangereuses,