Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bre, un fragment de sculpture du Bas-Empire, une belle croix grecque brisée, percent dans les hautes herbes. L’éternelle jeunesse de la nature sourit au milieu de ces ruines. L’air était embaumé, et le chant des cigales interrompait seul le silence religieux du matin. J’avais sur la tête le plus beau ciel du monde, à deux pas de moi les meilleurs amis. Je fermai les yeux, comme je fais souvent, pour résumer les diverses impressions de ma promenade, et me composer une vue générale du paysage que je venais de parcourir. Je ne sais comment, au lieu des lianes, des bosquets et des marbres de Torcello, je vis apparaître des champs aplanis, des arbres souffrants, des buissons poudreux, un ciel gris, une végétation maigre, obstinément tourmentée par le soc et la pioche, des masures hideuses, des palais ridicules, la France en un mot. — Ah ! tu m’appelles donc ! lui dis-je. Je sentis un étrange mouvement de désir et de répugnance. Ô patrie ! nom mystérieux à qui je n’ai jamais pensé, et qui ne m’offres encore qu’un sens impénétrable ! le souvenir des douleurs passées que tu évoques est-il donc plus doux que le sentiment présent de la joie ? Pourrais-je t’oublier si je voulais ? et d’où vient que je ne le veux pas ?




IV

À JULES NÉRAUD


Nohant, septembre 1834.

Combien j’ai à te remercier, mon vieil ami, d’être venu me voir tout de suite ! Je n’espérais pas ce bonheur, et je vois que, ta position n’ayant pas changé, c’est une grande preuve d’amitié que m’as donnée. J’ai passé une journée