La Vie d’Alfieri, considérée comme livre, est un des plus excellents que je connaisse. Il est vrai que je n’en connais guère, surtout depuis l’époque à laquelle j’ai absolument perdu la mémoire ; celui-là est écrit avec une simplicité extrême, avec une froideur de jugement d’où ressort pour le lecteur une très-chaude émotion ; avec une concision et une rapidité pleines d’ordre et de modestie. Je pense que tous ceux qui se mêleront d’écrire leur vie devraient se proposer pour modèle la forme, la dimension et la manière de celle-ci. Voilà ce que je me suis promis en la lisant, et voilà pourtant ce que je suis bien sûr de ne pas tenir.
Pour me résumer, je veux te dire que la lecture me fait beaucoup plus de mal que de bien. Je veux m’en sevrer au plus vite. Elle empire mon incertitude sur toute vérité, mon découragement de tout avenir. Tous ceux qui écrivent l’histoire des maux humains ou de leurs propres maux, prêchent du haut de leur calme ou de leur oubli. Mollement assis sur le paisible dada qui les a tirés du danger, ils m’entretiennent du système, de la croyance ou de la vanité qui les console. Celui-ci est dévot, celle-là est savante, le grand Alfieri fait des tragédies. Au travers de leur bien-être présent, ils voient les chagrins passés menus comme des grains de poussière, et traitent les miens de même, sans songer que les miens sont des montagnes, comme l’ont été les leurs. Ils les ont franchies, et moi, comme Prométhée, je reste dessous, n’ayant de libre que la poitrine pour nourrir un vautour. Ils sourient tranquillement, les cruels ! L’un prononce sur mon agonie ce mot de mépris religieux, vanitas ! l’autre appelle mon angoisse faiblesse, et le troisième ignorance. Quand je n’étais pas dévot dit l’un, j’étais sous ce rocher ; soyez dévot et levez-vous ! — Vous expirez ? dit madame de Staël ; songez aux grands hommes de l’antiquité, et faites quelque belle phrase là-dessus. Rien ne soulage comme la rhétorique. — Vous vous ennuyez ? s’écrie Alfieri ; ah ! que je me suis ennuyé aussi ! Mais Cléopâtre m’a tiré