s’entretint pas avec les paisibles naïades. Hommes de bruit, ne venez pas mettre vos pieds sanglants et poudreux dans les ondes pures qui murmurent pour nous ; c’est à nous, rêveurs inoffensifs, que les eaux de la montagne appartiennent ; c’est à nous qu’elles parlent d’oubli et de repos, conditions de notre humble bonheur qui vous feraient rire de pitié. Laissez-nous cela, nous vous abandonnons tout le reste, les lauriers et les autels, les travaux et le triomphe. — Si quelque jour, blessé dans la lutte ou prisonnier sur parole, tu viens t’asseoir près de ton frère le bohémien, nous regarderons les cieux ensemble, et je te parlerai des astres qui président à la destinée des mortels. Voilà, je le sais, tout ce qui pourra t’intéresser, tout ce que tu voudras voir dans les eaux limpides ; ce sera le reflet incertain et tremblant de ton étoile, et tu te hâteras de la chercher à la voûte céleste pour t’assurer qu’elle y brille encore de tout son éclat. Non, non, tu n’aimerais pas ces vallées silencieuses où l’aigle est roi et non pas l’homme, ces lacs où le cri de la plus petite sarcelle trouverait plus d’échos que ta parole. Les déserts que vous ne pouvez soumettre à la charrue ou au glaive, ces monts escarpés, ce sol rebelle, ces impénétrables forêts, où l’artiste va pieusement évoquer les sauvages divinités retranchées là contre les assauts de l’industrie humaine, tout cela n’est pas la patrie de ton intelligence. Il te faut des villes, des champs, des soldats, des ouvriers, le commerce, le travail, tout l’attirail de la puissance, tous les aliments que les besoins des hommes peuvent offrir à l’orgueil des dieux. Les dieux dominent et protègent ; quand tu dis que tu les portes avec amour dans ton sein, ces pauvres Pygmées humains, tu veux dire, Hercule, que tu les portes dans ta peau de lion ; mais tu ne pourrais t’endormir à l’ombre des bois sans qu’ils s’acharnassent à te réveiller. Ils te tourmenteraient dans tes rêves, et les orages de ton âme troubleraient la sérénité de l’air jusque sur la cime du Mont-Blanc. Mon pauvre frère, j’aime mieux
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