Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/202

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les artistes ; car pour moi je n’ai garde de me défendre : j’aurais trop peur d’être acquitté comme le plus innocent des hommes, et de ne pas avoir les honneurs du martyre pour mes idées. — Un instant ! tu me feras le plaisir de formuler un peu lesdites idées après mon trépas, car jusqu’ici je t’avoue en secret qu’il n’y a pas l’ombre d’une idée dans ma tête et dans mes livres. Le devoir de ton amitié est d’apprendre aux gens qui, par hasard, auraient lu les livres susdits, ce qu’ils prouvent et ce qu’ils ne prouvent pas. Il ne serait peut-être pas inutile non plus de me l’apprendre à moi-même, afin que je pusse démontrer à mes juges, par mes réponses, combien mon intelligence a de profondeur, de perversité, et combien il est urgent d’éteindre une si terrible comète capable d’embraser la terre.

Ceci pose (et ne va pas me contredire ni t’aviser de plaider pour mon innocence ; le bon Dieu bénisse les obligeants ! je les remercie fort de leur bonne volonté, et les prie de vouloir bien me laisser être pendu en repos), parlons des autres. Qu’ont-ils fait, les pauvres diables ? Sont-ils capables de causer la mort d’une mouche ? Il n’y a que Byron et moi, sachez-le bien…

Mais je t’ennuie avec mon incorrigible et plate facétieuseté. Donne-moi un coup de poing, et me voilà redevenu sérieux.

Je suis prêt à te confesser que nous sommes tous de grands sophistes. Le sophisme a tout envahi, il s’est glissé jusque dans les jambes de l’Opéra, et Berlioz l’a mis en symphonie fantastique. Malheureusement pour la cause de l’antique sagesse, quand tu entendras la marche funèbre de Berlioz, il y aura un certain ébranlement nerveux dans ton cœur de lion, et tu te mettras peut-être bien à rugir, comme à la mort de Desdemona ; ce qui sera fort désagréable pour moi, ton compagnon, qui me pique de montrer une jolie cravate et un maintien grave et doux au Conservatoire. Le moins qui t’arrivera sera de confesser que cette musique-là