Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/267

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la terre, sans avoir senti, à sa surface, la chaleur de la végétation et le mouvement de la vie ; afin qu’au moment de rentrer dans l’éternel néant, tu ne sentes pas la torture du désespoir, en voyant planer au-dessus de toi ces âmes que tu niais avec mépris, essences immortelles que tu te vantais d’avoir écrasées sous tes pieds superbes, et qui monteront vers les cieux quand la tienne s’évanouira comme un vain souffle ; nous prierons alors afin que ton dernier mot ne soit pas un reproche à Dieu, auquel tu ne croyais pas !

Une forme blanche et légère traversa l’angle du tapis vert et nous la vîmes monter l’escalier extérieur de la tourelle à l’autre extrémité du château. — Est-ce, dit mon ami, l’ombre de quelque juste évoquée par toi, qui vient danser et s’ébattre au clair de la lune pour désespérer l’impie ? — Non, cette âme, si c’en est une, habite un beau corps. — Ah ! j’entends, reprit-il, c’est la duchesse ! On dit que… — Ne répète pas cela, lui dis-je en l’interrompant ; épargne à mon imagination ces tableaux hideux et ces soupçons horribles. Ce vieillard a pu concevoir la pensée d’une telle profanation ; mais cette femme est trop belle, c’est impossible. Si la débauche rampante ou la sordide avarice habitent des êtres si séduisants et se cachent sous des formes aussi pures, laisse-moi l’ignorer, laisse-moi le nier. Nous sommes des hommes sans fiel, de bons villageois. Ami, ne laissons pas flétrir si aisément ce que nous possédons encore d’émotions douces et de sourires dans l’âme. Ne disons pas à notre cœur ce que notre raison soupçonne, laissons nos yeux éblouis lui commander la sympathie. Vous êtes trop charmante, madame la duchesse, pour n’être pas honnête et bonne. — Eh bien ! soit : vous êtes bonne autant que belle, madame la duchesse, s’écria mon ami en souriant ; c’est ce que je me persuadais volontiers, ce matin, en vous voyant passer. J’étais couché sur l’herbe du parc, à l’ombre des arbres resplendissants de soleil ; à travers ce feuillage transparent de l’automne, vous sembliez darder des rayons dorés dans la