Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/295

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un préjugé, que l’or ne donne de mérite à personne. Ils déclarent que l’éducation seule établit une hiérarchie légitime et sainte. « Faites le peuple semblable à nous, disent-ils, et nous l’admettrons à l’égalité sociale. »

Ces hommes n’oublient qu’un point, c’est que, le peuple n’ayant pu encore se faire semblable à eux, ils se sont faits en attendant, quant aux vices et à la grossièreté, semblables au peuple.

Si j’ai bonne mémoire, je n’avais vu d’orgie de patriciens que sur la scène, aux théâtres de l’Odéon et de la Porte-Saint-Martin. J’avoue que cela m’avait semblé très-froid et très-ennuyeux. Du reste, cela se passait très-convenablement. Deux ou trois personnages parlants, très-occupés de leurs affaires, se consultaient dans des a parte sur toute autre chose que l’orgie, et le long de la table une douzaine de comparses, très-bien costumés, soulevant en mesure des coupes de bois doré, les choquaient les unes contre les autres avec un bruit sourd, et

     ……… d’un ton mélancolique,
     Entonnaient tristement une chanson bachique.

Je fus donc très-peu effrayé d’un dîner de jeunes gens qui se consommait à l’autre bout du jardin de l’auberge. La maison était pleine en raison de la foire. Point de chambre où l’on pût manger, point de salle commune qui ne fût encombrée de commis voyageurs…

J’en demande pardon à un mien camarade d’enfance qui me vend d’excellent vin, et pour qui je vendrais, au besoin, ma dernière paire de bottes ; j’en demande pardon à plusieurs commis voyageurs qui m’ont écrit des injures à cause de je ne sais quelle mauvaise plaisanterie imprimée de mon fait je ne sais où. — J’en demande pardon, et sérieusement, je le jure, à la mémoire d’un seul dont le nom demeure enseveli dans des cœurs navrés. — Mais enfin, je le confesse à la face du ciel et de la terre, je ne peux pas souffrir