Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/298

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rendis souvent une force surhumaine à la verve épuisée des plus grands artistes ! pardonne si j’ai parlé des dangers de ton amour ! Plante sacrée, ta croîs au pied de l’Hymète, et tu communiques tes feux divins au poëte fatigué, lorsque, après s’être oublié dans la plaine, et voulant remonter vers les cimes augustes, il ne retrouve plus son ancienne vigueur. Alors tu coules dans ses veines et tu lui donnes une jeunesse magique ; tu ramènes sur ses paupières brûlantes un sommeil pur, et tu fais descendre tout l’Olympe à sa rencontre dans des rêves célestes. Que les sots te méprisent, que les fakirs du bon ton te proscrivent, que les femmes des patriciens détournent les yeux avec horreur en te voyant mouiller les lèvres de la divine Malibran. Elles ont raison de défendre à leurs amants de boire devant elles ; les imaginations de ces hommes-là sont trop souillées, leurs mémoires sont trop remplies d’ordures, pour qu’il soit prudent de mettre à nu le fond de leur pensée. Mais viens, ô ruisseau de vie ! couler à flots abondants dans la coupe de mes amis ! Disciples du divin Platon, adorateurs du beau, ils détestent la vue comme la pensée de ce qui est ignoble, ils veulent que tout soit pur dans la joie ; que la femme chaste ne cesse point de l’être à table ; que l’adolescent ne souille pas ses lèvres d’un rire cynique ; que l’artiste puisse dire toute son ambition, et qu’elle ne fasse sourire personne. Ils veulent enfin, ils peuvent, ils osent livrer tout le trésor de leur âme, et n’avoir rien a reprendre les uns aux autres quand le jour bleuâtre nous surprend à table dans la mansarde, et glisse, tendre et timide, un reflet d’azur sur la dorure rougissante des flambeaux expirants ; ou bien, quand à la campagne, assis en plein air, autour des flacons et des fruits, l’aube nous trouve au jardin, en face de la pleine lune, et nous voit rire de sa face pâle qui ressemble à une femme peureuse ou distraite, essayant, mais trop tard, de se retirer décemment chez elle avant l’éclat du soleil. Ô belles nuits de l’été brûlant qui vient de