sa main blanche ; et son œil, où l’azur des cieux réfléchit sa plus belle nuance, interrogeait la puissance de la créature dans chaque son émané du vaste instrument. « Ce n’est pas ce que j’attendais, » me dit-elle d’un air simple et sans songer à l’ambition de sa parole. — Exigeante ! lui dis-je, tu n’as pas trouvé le glacier assez blanc l’autre jour sur la montagne ! Ses grandes crêtes qui semblaient taillées dans les flancs de Paros, ses dents aiguës au pied desquelles nous étions comme des nains, ne t’ont pas semblé dignes de ton regard superbe. La voix des torrents est, selon toi, sourde et monotone, la hauteur des sapins ne t’étonne pas plus que celle des joncs du rivage. Tu mesures le ciel et la terre. Tu demandes les palmiers de l’Arabie-Heureuse sur la croupe du Mont-Blanc, et les crocodiles du Nil dans l’écume du Reichenbach. Tu voudrais voir voguer les flottes de Cléopâtre sur les ondes immobiles de la Mer de glace. De quelle étoile nous es-tu donc venue, toi qui méprises le monde que nous habitons ? Tu veux maintenant que ce vieillard refrogné qui te regarde avec stupeur ait trouvé sous sa perruque un peu plus que la puissance de Dieu pour te satisfaire !
En effet, Mooser, le vieux luthier, le créateur du grand instrument, aussi mystérieux, aussi triste, aussi maussade que l’homme au chien noir et aux macarons d’Hoffmann, était debout à l’autre extrémité de la galerie et nous regardait tour à tour d’un air sombre et méfiant. Homme spécial s’il en fut, Helvétien inébranlable, il semblait ne pas goûter le moins du monde le chant simple et sublime que notre grand artiste essayait sur l’orgue. À vrai dire, celui-ci ne tirait pas tout le parti possible de la machine. Il cherchait platement les sons les plus purs et ne nous régalait pas du plus petit coup de tonnerre. Aussi l’organiste de la cathédrale, gros jeune homme à la joue vermeille, confrère familier et quasi-protecteur de notre ami, le poussait doucement à chaque instant, et, prenant sans façon sa place, essayait,