Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de Guillaume Tell ne consiste pas dans le caractère pastoral helvétique, si admirablement senti et si noblement idéalisé.

Mais il a été émis sur votre compte bien d’autres paradoxes pour l’intelligence desquels je me creuserais vainement la tête. Jusqu’à ce que la lumière se fasse, je reste convaincu qu’il est au pouvoir du plus beau de tous les arts de peindre toutes les nuances du sentiment et toutes les phases de la passion. Sauf la dissertation métaphysique (et pour ma part je n’y ai pas regret), la musique peut tout exprimer. La description des scènes de la nature trouve en elle des couleurs et des lignes idéales, qui ne sont ni exactes ni minutieuses, mais qui n’en sont que plus vaguement et plus délicieusement poétiques. Plus exquise et plus vaste que les beaux paysages en peinture, la symphonie pastorale de Beethoven n’ouvre-t-elle pas à l’imagination des perspectives enchantées, toute une vallée de l’Engaddine ou de la Misnie, tout un paradis terrestre où l’âme s’envole, laissant derrière elle et voyant sans cesse s’ouvrir à son approche des horizons sans limites, des tableaux où l’orage gronde, où l’oiseau chante, où la tempête naît, éclate et s’apaise, où le soleil boit la pluie sur les feuilles, où l’alouette secoue ses ailes humides, où le cœur froissé se répand, où la poitrine oppressée se dilate, où l’esprit et le corps se raniment et, s’identifiant avec la nature, retombent dans un repos délicieux ?

Quand les bruits désordonnés du Pré aux Clercs s’effacent dans le lointain, et que le couvre-feu fait entendre sa phrase mélancolique, traînante comme l’heure, mourante comme la clarté du jour, est-il besoin de la toile peinte en rouge de l’Opéra et de l’escamotage adroit de six quinquets pour que l’esprit se représente l’horizon embrasé qui pâlit peu à peu, les bruits de la ville qui expirent, le sommeil qui déploie ses ailes grises dans le crépuscule, le murmure de la Seine qui reprend son empire à mesure que les chants et les cris humains s’éloignent et se perdent ? — À ce moment