Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/357

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hommes aient, dans ce temps-ci, un bien vif sentiment de leur dignité, et qu’il faille les engager à plier les deux genoux un peu plus bas qu’ils ne le font devant des considérations et des intérêts qui ne sont ni la religion, ni la morale, ni l’ordre, ni la vertu. — Par la même raison, je ne vois pas que les femmes de ces hommes-là se rapprochent trop du courage des mères spartiates ou de la fierté patriotique des dames romaines.

Je ne sais enfin si j’ai la vue trouble, mais je crois voir qu’on a fait un grand abus du silence, au moyen duquel on échappe aux crises violentes du mariage, aux désordres (il faudrait plutôt dire aux calamités) de la séparation. Dans les siècles de foi, dans le temps où l’on adorait le Christ, l’abnégation et la patience étaient les vertus qu’il fallait recommander par-dessus tout à des femmes récemment sorties des autels druidiques, du bivouac sanglant et du conseil de guerre où leurs époux les avaient peut-être un peu trop laissées s’immiscer ; mais aujourd’hui que nos mœurs n’ont plus guère de rapport, que je sache, avec les forêts de la Germanie, surtout depuis que la régence et le directoire ont enseigné aux femmes le secret de vivre en très-bonne intelligence avec leurs époux, j’ai pu penser que, si une sorte de moralité était nécessaire à des contes frivoles, on pourrait bien adopter celle-ci : « Le désordre des femmes est très-souvent provoqué par la férocité ou l’infamie des hommes ; » ou celle-ci : « Le mensonge n’est pas la vertu ; la lâcheté n’est pas l’abnégation ; » ou bien encore celle-ci : « Un mari qui méprise ses devoirs de gaieté de cœur, en jurant, riant et buvant, est quelquefois moins excusable que la femme qui trahit les siens en pleurant, en souffrant et en expiant. »

Pour en finir avec l’adhésion complète que je donne à vos décisions, je vous dirai qu’en effet cet amour que j’édifie et que je couronne sur les ruines de l’infâme est mon utopie, mon rêve, ma poésie. Cet amour est grand, noble, beau, volontaire,