Page:Sand - Lettres d un voyageur.djvu/80

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dix des plus belles pour quatre ou cinq sous de notre monnaie. La vie animale est donc le moindre sujet de dépense à Venise, et le transport des denrées se fait avec une aisance qui entretient l’indolence des habitants. Les provisions arrivent par eau jusqu’à la porte des maisons ; sur les ponts et dans les rues pavées passent les marchands en détail. L’échange de l’argent avec les objets de consommation journalière se fait à l’aide d’un panier et d’une corde. Ainsi, toute une famille peut vivre largement sans que personne, pas même le serviteur, sorte de la maison. Quelle différence entre cette commode existence et le laborieux travail qu’une famille, seulement à demi pauvre, est forcée d’accomplir chaque jour à Paris pour parvenir à dîner plus mal que le dernier ouvrier de Venise ! Quelle différence aussi entre la physionomie préoccupée et sérieuse de ce peuple qui se heurte et se presse, qui se crotte et se fait jour avec les coudes dans la cohue de Paris, et la démarche nonchalante de ce peuple vénitien qui se traîne en chantant et en se couchant à chaque pas sur les dalles lisses et chaudes des quais ? Tous ces industriels, qui chaque jour apportent à Venise leur fonds de commerce dans un panier, sont les esprits les plus plaisants du monde, et débitent leurs bons mots avec leur marchandise. Le marchand de poissons, à la fin de sa journée, fatigué et enroué d’avoir crié tout le matin, vient s’asseoir dans un carrefour ou sur un parapet ; et là, pour se débarrasser de son reste, il décoche aux passants et aux fumeurs des balcons les invitations les plus ingénieuses. — Voyez, dit-il, c’est le plus beau poisson de ma provision ! je l’ai gardé jusqu’à cette heure, parce que je sais qu’a présent les gens de bien dînent les derniers. Voyez quelles jolies sardines, quatre pour deux centimes ! Un regard de la belle camérière sur ce beau poisson, et un autre par-dessus le marché pour le pauvre pescaor. — Le porteur d’eau fait des calembours en criant sa denrée : Aqua fresca e tenera. — Le gondolier, stationné au traguet, invite le passager par