Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/133

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rive, nous dit qu’il a gagné beaucoup sans nous dire comment. Il annonce que nous vivrons près de lui, et il nous emmène dans un affreux village appelé Panticosa dans les montagnes de la Navarre. Nous voyons que mon père y commande une population de contrebandiers. Cela effraye ma mère, il se moque d’elle. Il nous installe dans une assez jolie maison, nous donne deux serviteurs et s’en va, Dieu sait où, pour revenir de temps à autre très-affairé et toujours entouré d’hommes qui avaient des figures d’assassins et qui nous faisaient peur.

» Nous ne manquions de rien, pas même de belles toilettes et de bijoux ; mais pour qui se faire belle dans ce désert ? Nous n’aimions pas la campagne, et cette campagne-là ressemblait à un coupe-gorge. Nous étions habituées à notre petit train de Paris, à nos boulevards si gais, à ce bruit continuel, à ces figures animées. Nous regrettions notre mansarde et tout ce mouvement, même celui qu’on se donne pour vivre et qui fait que l’on ne pense à rien. Nous avions à Panticosa des rêves sinistres, des frayeurs de tous les instants. Ces hommes avec leur contrebande étaient toujours sombres, ils se parlaient tout bas ou par signes. J’essayais d’être gentille et bonne avec eux. Ils n’étaient pas méchants pour moi, mais ma mère crai-