Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/138

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et puissant. Moi, je ne comprends plus ou je crains de comprendre. Je me bouche les oreilles et je pleure. Je refuse de manger ; il m’enferme dans une chambre d’auberge.

» La nuit venue, il entre chez moi avec un homme effrayant, une espèce de Kalmouk à moustache rousse, des yeux de taupe, des boutons de diamants à la chemise et aux manchettes, et il lui parle ainsi :

» — La voilà, elle n’est pas belle pour le moment, elle est en colère parce que je l’ai empêchée de se perdre ; mais vous l’avez vue à Pampelune et vous savez ce qu’elle est. Emmenez-la ; moi, j’en ai assez.

» Et, se tournant vers moi :

» — Suivez monsieur, c’est un grand et riche seigneur étranger, qui est chargé de trouver une demoiselle de compagnie pour sa sœur et qui va vous conduire auprès d’elle. Vous serez bien traitée et vous n’aurez pas l’ennui d’aller au couvent. Allons vite, prenez votre mantille ; la voiture est en bas.

» J’avais vu ce Russe rôder autour de moi à Pampelune ; il m’avait écrit grossièrement. Je compris que j’étais vendue. Je voulus crier ; ma voix s’étrangla dans mon gosier, et une lutte terrible s’engagea pour me faire sortir de la chambre. Ils parvinrent à m’en faire franchir le seuil ; mais je là leur échappai, je