Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/154

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rait pas, mais le médecin vit bien la cause de mon mal, et Dolorès dut tout avouer. Elle avoua même trop, car M. Brudnel fut informé de ma passion pour lui. Sans doute il l’avait devinée, mais il ne la savait pas si violente.

» Quand je fus en état de l’entendre :

» — Manuelita, me dit-il en espagnol, car il sait parler très-bien toutes les langues, vous voulez que je vous aime, c’est fait. Je vous aime tendrement. Vous êtes douce, bonne, sincère, docile ; mais mon amour a été jusqu’ici celui d’un père, et vous voudriez me faire oublier mon devoir. Sachez que, dès ma jeunesse, qui a été fort agitée, je me suis pourtant imposé, par fierté et par suite d’une répugnance invincible, la loi de ne jamais payer l’amour. Ce n’est pas à dire que je n’aie pas subi l’attrait de femmes capables ou coutumières de spéculation, mais jamais je ne les ai payées. Elles le savaient d’avance, elles m’ont agréé parce que je leur plaisais. Avec vous, la situation est exceptionnelle ; j’ai payé le droit d’être votre père. Si j’étais devenu votre amant, j’aurais commis un parjure et une lâcheté dont je suis incapable, et, je vous l’ai dit, si je subissais avec vous le délire de la passion irréfléchie, je me croirais devenu l’égal de M. Antonio Perez, qui vous a livrée à moi sans conditions. Il faut