Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/170

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VIII


Je m’endormis enfin et je m’éveillai plus calme. La lettre de Jeanne était restée ouverte sur ma table ; je voulus la relire pour retrouver, dans ce chaste et doux sentiment de l’amitié inaltérable, la conscience de ma lucidité. Une phrase m’avait frappé, je tenais à la bien comprendre. « Je te défie, me disait ma sœur, d’aimer quelqu’un mieux que nous ; ta future compagne ne t’apportera que l’avenir, tandis que nous, c’est le passé, c’est la joie et la douleur mises en commun, c’est toute la vie qu’on a vécue. »

— C’est vrai, profondément vrai, me dis-je, et, si Manuela m’a ému si vivement hier, c’est qu’elle aussi est mon passé ; mais ce n’est pas celui dont parle ma sœur, ce n’est pas la sainte tendresse, la sollicitude, l’expansion de tous les jours, la confiance calme et sacrée : c’est l’insomnie, la curiosité, le dépit, le dégoût. J’ai passé par ces tourments-là, et je voudrais recom-